Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 1.djvu/39

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de la vie de Napoléon, que Napoléon lui-même : cet être singulier, incomplet, mais merveilleux, qu’on ne saurait regarder attentivement sans se donner l’un des plus curieux et des plus étranges spectacles qui puissent se rencontrer dans l’univers.

« Je désirerais montrer ce que, dans sa prodigieuse entreprise, il a tiré réellement de son génie et ce que lui ont fourni de facilités l’état du pays et l’esprit du temps ; faire voir comment et pourquoi cette nation indocile courait en ce moment d’elle-même au-devant de la servitude ; avec quel art incomparable il a découvert dans les œuvres de la révolution la plus démagogique tout ce qui était propre au despotisme, et l’en a fait naturellement sortir.

« Parlant de son gouvernement intérieur, je veux contempler l’effort de cette intelligence presque divine grossièrement employée à comprimer la liberté humaine ; cette organisation savante et perfectionnée de la force, telle que le plus grand génie au milieu du siècle le plus éclairé et le plus civilisé pouvait seul la concevoir. Et, sous le poids de cette admirable machine, la société comprimée et étouffée devenant stérile ; le mouvement de l’intelligence se ralentissant ; l’esprit humain qui s’alanguit, les âmes qui se rétrécissent, les grands hommes qui cessent de paraître ; un horizon immense et plat, où, de quelque côté qu’on se retourne, n’apparaît plus rien que la figure colossale de l’empereur lui-même.