Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 1.djvu/48

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Combien d’écrivains de notre temps, et de tous les temps, n’entrent dans la carrière politique que pour y contredire ou au moins y oublier les principes qu’ils avaient jusque-là professés ! Cela s’appelle aborder la vie réelle, abandonner le monde des chimères et prendre les choses par leur côté pratique. En entrant dans la politique, Tocqueville n’est pas seulement resté fidèle aux théories qui lui étaient chères, mais encore il a cherché avec bonheur l’occasion de les faire prévaloir dans l’application. C’est ainsi qu’à peine arrivé à la Chambre des députés (1839), il y saisit la question de l’esclavage, mise à l’ordre du jour par la proposition de M. de Tracy, qui demandait son abolition dans nos colonies. Tocqueville avait vu aux États-Unis cette plaie hideuse de l’esclavage des noirs et l’avait stigmatisée dans ses écrits ; il la juge à la tribune de même que dans ses livres ; il est nommé rapporteur de la commission à laquelle la Chambre avait renvoyé l’examen de la proposition et rédige un admirable rapport, dans lequel la servitude humaine est à jamais flétrie, et qui, avec les travaux sur le même sujet de M. de Rémusat et de M. le duc de Broglie, forme un traité complet de la matière. Et non-seulement il pose la question devant l’Assemblée qui lui en a donné le mandat ; mais encore comptant pour peu le succès moral de son rapport, s’il n’aboutit pas à une solution pratique, et convaincu que la majorité parlementaire ne peut-être obtenue que par une