Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 2.djvu/119

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J’ai dit qu’il importait que les gouvernants n’aient point d’intérêts contraires ou différents de la masse des gouvernés ; je n’ai point dit qu’il importait qu’ils eussent des intérêts semblables à ceux de tous les gouvernés, car je ne sache point que la chose se soit encore rencontrée.

On n’a point découvert jusqu’ici de forme politique qui favorisât également le développement et la prospérité de toutes les classes dont la société se compose. Ces classes ont continué à former comme autant de nations distinctes dans la même nation, et l’expérience a prouvé qu’il était presque aussi dangereux de s’en remettre complètement à aucune d’elles du sort des autres, que de faire d’un peuple l’arbitre des destinées d’un autre peuple. Lorsque les riches seuls gouvernent, l’intérêt des pauvres est toujours en péril ; et lorsque les pauvres font la loi, celui des riches court de grands hasards. Quel est donc l’avantage de la démocratie ? L’avantage réel de la démocratie n’est pas, comme on l’a dit, de favoriser la prospérité de tous, mais seulement de servir au bien-être du plus grand nombre.

Ceux qu’on charge, aux États-Unis, de diriger les affaires du public, sont souvent inférieurs en capacité et en moralité aux hommes que l’aristocratie porterait au pouvoir ; mais leur intérêt se confond et s’identifie avec celui de la majorité de leurs concitoyens. Ils peuvent donc commettre de fréquentes infidélités et de graves erreurs, mais ils ne suivront jamais systématiquement une tendance hostile à cette majorité ; et il ne