Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 2.djvu/123

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

paternelle. Ils aiment la tranquillité dont ils y jouissent ; ils tiennent aux paisibles habitudes qu’ils y ont contractées ; ils s’attachent aux souvenirs qu’elle leur présente, et trouvent même quelque douceur à y vivre dans l’obéissance. Souvent cet amour de la patrie est encore exalté par le zèle religieux, et alors on lui voit faire des prodiges. Lui-même est une sorte de religion ; il ne raisonne point, il croit, il sent, il agit. Des peuples se sont rencontrés qui ont, en quelque façon, personnifié la patrie, et qui l’ont entrevue dans le prince. Ils ont donc transporté en lui une partie des sentiments dont le patriotisme se compose ; ils se sont enorgueillis de ses triomphes, et ont été fiers de sa puissance. Il fut un temps, sous l’ancienne monarchie, où les Français éprouvaient une sorte de joie en se sentant livrés sans recours à l’arbitraire du monarque, et disaient avec orgueil : « Nous vivons sous le plus puissant roi du monde. »

Comme toutes les passions irréfléchies, cet amour du pays pousse à de grands efforts passagers plutôt qu’à la continuité des efforts. Après avoir sauvé l’État en temps de crise, il le laisse souvent dépérir au sein de la paix.

Lorsque les peuples sont encore simples dans leurs mœurs et fermes dans leur croyance ; quand la société repose doucement sur un ordre de choses ancien, dont la légitimité n’est point contestée, on voit régner cet amour instinctif de la patrie.

Il en est un autre plus rationnel que celui-là ; moins généreux, moins ardent peut-être, mais plus fécond et plus durable ; celui-ci naît des lumières ; il se développe