Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 2.djvu/125

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que les hommes aux goûts innocents de leur premier âge ; ils peuvent les regretter, mais non les faire renaître. Il faut donc marcher en avant et se hâter d’unir aux yeux du peuple l’intérêt individuel à l’intérêt du pays, car l’amour désintéressé de la patrie fuit sans retour.

Je suis assurément loin de prétendre que pour arriver à ce résultat on doive accorder tout à coup l’exercice des droits politiques à tous les hommes ; mais je dis que le plus puissant moyen, et peut-être le seul qui nous reste, d’intéresser les hommes au sort de leur patrie, c’est de les faire participer à son gouvernement. De nos jours, l’esprit de cité me semble inséparable de l’exercice des droits politiques ; et je pense que désormais on verra augmenter ou diminuer en Europe le nombre des citoyens en proportion de l’extension de ces droits.

D’où vient qu’aux États-Unis, où les habitants sont arrivés d’hier sur le sol qu’ils occupent, où ils n’y ont apporté ni usages, ni souvenirs ; où ils s’y rencontrent pour la première fois sans se connaître ; où, pour le dire en un mot, l’instinct de la patrie peut à peine exister ; d’où vient que chacun s’intéresse aux affaires de sa commune, de son canton et de l’État tout entier comme aux siennes mêmes ? C’est que chacun, dans sa sphère, prend une part active au gouvernement de la société.

L’homme du peuple, aux États-Unis, a compris l’influence qu’exerce la prospérité générale sur son bonheur, idée si simple et cependant si peu connue du peuple. De plus, il s’est accoutumé à regarder cette