Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 2.djvu/205

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cticut, qui ne compte encore que cinquante-neuf habitants par mille carré, la population n’a crû que d’un quart depuis quarante ans, tandis qu’en Angleterre elle s’est augmentée d’un tiers durant la même période. L’émigrant d’Europe aborde donc toujours dans un pays à moitié plein, où les bras manquent à l’industrie ; il devient un ouvrier aisé ; son fils va chercher fortune dans un pays vide, et il devient un propriétaire riche. Le premier amasse le capital que le second fait valoir, et il n’y a de misère ni chez l’étranger ni chez le natif.

La législation, aux États-Unis, favorise autant que possible la division de la propriété ; mais une cause plus puissante que la législation empêche que la propriété ne s’y divise outre mesure[1]. On s’en aperçoit bien dans les États qui commencent enfin à se remplir. Le Massachusetts est le pays le plus peuplé de l’Union ; on y compte quatre-vingts habitants par mille carré, ce qui est infiniment moins qu’en France, où il s’en trouve cent soixante-deux réunis dans le même espace.

Au Massachusetts cependant il est déjà rare qu’on divise les petits domaines : l’aîné prend en général la terre ; les cadets vont chercher fortune au désert.

La loi a aboli le droit d’aînesse ; mais on peut dire que la Providence l’a rétabli sans que personne ait à se plaindre, et cette fois du moins il ne blesse pas la justice.

On jugera par un seul fait du nombre prodigieux d’in-

  1. Dans la Nouvelle-Angleterre, le sol est partagé en très petits domaines, mais il ne se divise plus.