Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 2.djvu/223

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Je ne doute pas un instant que la grande sévérité de mœurs qu’on remarque aux États-Unis n’ait sa source première dans les croyances. La religion y est souvent impuissante à retenir l’homme au milieu des tentations sans nombre que la fortune lui présente. Elle ne saurait modérer en lui l’ardeur de s’enrichir que tout vient aiguillonner, mais elle règne souverainement sur l’âme de la femme, et c’est la femme qui fait les mœurs. L’Amérique est assurément le pays du monde où le lien du mariage est le plus respecté, et où l’on a conçu l’idée la plus haute et la plus juste du bonheur conjugal.

En Europe, presque tous les désordres de la société prennent naissance autour du foyer domestique et non loin de la couche nuptiale. C’est là que les hommes conçoivent le mépris des liens naturels et des plaisirs permis, le goût du désordre, l’inquiétude du cœur, l’instabilité des désirs. Agité par les passions tumultueuses qui ont souvent troublé sa propre demeure, l’Européen ne se soumet qu’avec peine aux pouvoirs législateurs de l’État. Lorsque, au sortir des agitations du monde politique, l’Américain rentre au sein de sa famille, il y rencontre aussitôt l’image de l’ordre et de la paix. Là, tous ses plaisirs sont simples et naturels, ses joies innocentes et tranquilles ; et comme il arrive au bonheur par la régularité de la vie, il s’habitue sans peine à régler ses opinions aussi bien que ses goûts.

Tandis que l’Européen cherche à échapper à ses chagrins domestiques en troublant la société, l’Américain