Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 2.djvu/234

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plutôt que l’amour ; et il lui faut repousser comme adversaires des hommes qui souvent l’aiment encore, tout en combattant ceux auxquels elle s’est unie. La religion ne saurait donc partager la force matérielle des gouvernants, sans se charger d’une partie des haines qu’ils font naître.

Les puissances politiques qui paraissent le mieux établies n’ont pour garantie de leur durée que les opinions d’une génération, les intérêts d’un siècle, souvent la vie d’un homme. Une loi peut modifier l’état social qui semble le plus définitif et le mieux affermi, et avec lui tout change.

Les pouvoirs de la société sont tous plus ou moins fugitifs, ainsi que nos années sur la terre ; ils se succèdent avec rapidité comme les divers soins de la vie ; et l’on n’a jamais vu de gouvernement qui se soit appuyé sur une disposition invariable du cœur humain, ni qui ait pu se fonder sur un intérêt immortel.

Aussi longtemps qu’une religion trouve sa force dans des sentiments, des instincts, des passions qu’on voit se reproduire de la même manière à toutes les époques de l’histoire, elle brave l’effort du temps, ou du moins elle ne saurait être détruite que par une autre religion. Mais quand la religion veut s’appuyer sur les intérêts de ce monde, elle devient presque aussi fragile que toutes les puissances de la terre. Seule, elle peut espérer l’immortalité ; liée à des pouvoirs éphémères, elle suit leur fortune, et tombe souvent avec les passions d’un jour qui les soutiennent.