Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 2.djvu/243

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Quand je compare les républiques grecques et romaines à ces républiques d’Amérique, les bibliothèques manuscrites des premières et leur populace grossière, aux mille journaux qui sillonnent les secondes et au peuple éclairé qui les habite ; lorsque ensuite je songe à tous les efforts qu’on fait encore pour juger de l’un à l’aide des autres et prévoir, par ce qui est arrivé il y a deux mille ans, ce qui arrivera de nos jours, je suis tenté de brûler mes livres, afin de n’appliquer que des idées nouvelles à un état social si nouveau.

Il ne faut pas, du reste, étendre indistinctement à toute l’Union ce que je dis de la Nouvelle-Angleterre. Plus on s’avance à l’Ouest ou vers le Midi, plus l’instruction du peuple diminue. Dans les États qui avoisinent le golfe du Mexique, il se trouve, ainsi que parmi nous, un certain nombre d’individus qui sont étrangers aux éléments des connaissances humaines ; mais on chercherait vainement, aux États-Unis, un seul canton qui fût plongé dans l’ignorance. La raison en est simple : les peuples de l’Europe sont partis des ténèbres et de la barbarie pour s’avancer vers la civilisation et vers les lumières. Leurs progrès ont été inégaux : les uns ont couru dans cette carrière, les autres n’ont fait en quelque sorte qu’y marcher ; plusieurs se sont arrêtés, et ils dorment encore sur le chemin.

Il n’en a point été de même aux États-Unis.

Les Anglo-Américains sont arrivés tout civilisés sur le sol que leur postérité occupe ; ils n’ont point eu à apprendre, il leur a suffi de ne pas oublier. Or, ce sont