Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 2.djvu/327

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dans tous les rangs. On a donc commencé à abandonner d’un commun accord le préjugé qui flétrissait le travail ; il y a eu plus de pauvres, et les pauvres ont pu sans rougir s’occuper des moyens de gagner leur vie. Ainsi l’un des effets les plus prochains de l’égalité des partages a été de créer une classe d’ouvriers libres. Du moment où l’ouvrier libre est entré en concurrence avec l’esclave, l’infériorité de ce dernier s’est fait sentir, et l’esclavage a été attaqué dans son principe même, qui est l’intérêt du maître.

À mesure que l’esclavage recule, la race noire le suit dans sa marche rétrograde, et retourne avec lui vers les tropiques, d’où elle est originairement venue.

Ceci peut paraître extraordinaire au premier abord, on va bientôt le concevoir.

En abolissant le principe de servitude, les Américains ne mettent point les esclaves en liberté.

Peut-être comprendrait-on avec peine ce qui va suivre, si je ne citais un exemple ; je choisirai celui de l’État de New York. En 1788, l’État de New York prohibe dans son sein la vente des esclaves. C’était d’une manière détournée en prohiber l’importation. Dès lors le nombre des nègres ne s’accroît plus que suivant l’accroissement naturel de la population noire. Huit ans après, on prend une mesure plus décisive, et l’on déclare qu’à partir du 4 juillet 1799 tous les enfants qui naîtront de parents esclaves seront libres. Toute voie d’accroissement est alors fermée ; il y a encore des esclaves, mais on peut dire que la servitude n’existe plus.