Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 2.djvu/342

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-ci savent que le danger ne peut jamais les atteindre ; si un devoir positif ne les contraint de marcher au secours du Sud, on peut prévoir que les sympathies de race seront impuissantes.

Quelle que soit, du reste, l’époque de la lutte, les blancs du Sud, fussent-ils abandonnés à eux-mêmes, se présenteront dans la lice avec une immense supériorité de lumières et de moyens ; mais les noirs auront pour eux le nombre et l’énergie du désespoir. Ce sont là de grandes ressources quand on a les armes à la main. Peut-être arrivera-t-il alors à la race blanche du Sud ce qui est arrivé aux Maures d’Espagne. Après avoir occupé le pays pendant des siècles, elle se retirera enfin peu à peu vers la contrée d’où ses aïeux sont autrefois venus, abandonnant aux nègres la possession d’un pays que la Providence semble destiner à ceux-ci, puisqu’ils y vivent sans peine et y travaillent plus facilement que les blancs.

Le danger plus ou moins éloigné, mais inévitable, d’une lutte entre les noirs et les blancs qui peuplent le sud de l’Union, se présente sans cesse comme un rêve pénible à l’imagination des Américains. Les habitants du Nord s’entretiennent chaque jour de ces périls, quoique directement ils n’aient rien à en craindre. Ils cherchent vainement à trouver un moyen de conjurer les malheurs qu’ils prévoient.

Dans les États du Sud, on se tait ; on ne parle point de l’avenir aux étrangers ; on évite de s’en expliquer avec ses amis ; chacun se le cache pour ainsi dire à soi-même.