Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 2.djvu/375

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De pareils changements ne peuvent s’opérer sans danger.

Pour une société de nations comme pour une société d’individus, il y a trois chances principales de durée : la sagesse des sociétaires, leur faiblesse individuelle, et leur petit nombre.

Les Américains qui s’éloignent des bords de l’océan Atlantique pour s’enfoncer dans l’Ouest sont des aventuriers impatients de toute espèce de joug, avides de richesses, souvent rejetés par les États qui les ont vus naître. Ils arrivent au milieu du désert sans se connaître les uns les autres. Ils n’y trouvent pour les contenir ni traditions, ni esprit de famille, ni exemples. Parmi eux, l’empire des lois est faible, et celui des mœurs plus faible encore. Les hommes qui peuplent chaque jour les vallées du Mississipi sont donc inférieurs, à tous égards, aux Américains qui habitent dans les anciennes limites de l’Union. Cependant ils exercent déjà une grande influence dans ses conseils, et ils arrivent au gouvernement des affaires communes avant d’avoir appris à se diriger eux-mêmes[1].

Plus les sociétaires sont individuellement faibles et plus la société a de chances de durée, car ils n’ont alors de sécurité qu’en restant unis. Quand, en 1790, la plus peuplée des républiques américaines n’avait pas 500,000 habitants[2], chacune d’elles sentait son insignifiance

  1. Ceci n’est, il est vrai, qu’un péril passager. Je ne doute pas qu’avec le temps la société ne vienne à s’asseoir et à se régler dans l’Ouest comme elle l’a déjà fait sur les bords de l’océan Atlantique.
  2. La Pennsylvanie, avait 431,373 habitants en 1790.