Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 3.djvu/123

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sera pas toujours moins respectée chez un peuple démocratique que chez un autre ; parce que, chez un pareil peuple, il ne se trouve point d’hommes que leur éducation, leurs lumières et leurs loisirs disposent d’une manière permanente à étudier les lois naturelles du langage et qui les fassent respecter en les observant eux-mêmes.

Je ne veux point abandonner ce sujet sans peindre les langues démocratiques par un dernier trait qui les caractérisera plus peut-être que tous les autres.

J’ai montré précédemment que les peuples démocratiques avaient le goût et souvent la passion des idées générales ; cela tient à des qualités et à des défauts qui leur sont propres. Cet amour des idées générales se manifeste, dans les langues démocratiques, par le continuel usage des termes génériques et des mots abstraits, et par la manière dont on les emploie. C’est là le grand mérite et la grande faiblesse de ces langues.

Les peuples démocratiques aiment passionnément les termes génériques et les mots abstraits, parce que ces expressions agrandissent la pensée et permettant de renfermer en peu d’espace beaucoup d’objets, aident le travail de l’intelligence.

Un écrivain démocratique dira volontiers d’une manière abstraite les capacités pour les hommes capables, et sans entrer dans le détail des choses auxquelles cette capacité s’applique. Il parlera des actualités pour peindre d’un seul coup les choses qui se passent en ce moment sous ses yeux, et il comprendra, sous le mot éven-