Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 3.djvu/232

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peur de manquer le plus court chemin, qui doit les conduire au bonheur.

Il est d’ailleurs facile de concevoir, que si les hommes qui recherchent avec passion les jouissances matérielles désirent vivement, ils doivent se rebuter aisément ; l’objet final étant de jouir, il faut que le moyen d’y arriver soit prompt et facile, sans quoi la peine d’acquérir la jouissance surpasserait la jouissance. La plupart des âmes y sont donc à la fois ardentes et molles, violentes et énervées. Souvent, la mort y est moins redoutée que la continuité des efforts vers le même but.

L’égalité conduit par un chemin plus direct encore, à plusieurs des effets que je viens de décrire.

Quand toutes les prérogatives de naissance et de fortune sont détruites, que toutes les professions sont ouvertes à tous, et qu’on peut parvenir de soi-même au sommet de chacune d’elles, une carrière immense et aisée semble s’ouvrir devant l’ambition des hommes, et ils se figurent volontiers qu’ils sont appelés à de grandes destinées. Mais c’est là une vue erronée que l’expérience corrige tous les jours. Cette même égalité qui permet à chaque citoyen de concevoir de vastes espérances, rend tous les citoyens individuellement faibles. Elle limite de tous côtés leurs forces, en même temps qu’elle permet à leurs désirs de s’étendre.

Non-seulement ils sont impuissants par eux-mêmes, mais ils trouvent à chaque pas d’immenses obstacles qu’ils n’avaient point aperçus d’abord.

Ils ont détruit les priviléges gênants de quelques-uns