Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 3.djvu/246

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

suffisamment établi qu’ils ne sont que des brutes, ils se montrent aussi fiers que s’ils avaient démontré qu’ils étaient des Dieux.

Le matérialisme est chez toutes les nations une maladie dangereuse de l’esprit humain ; mais il faut particulièrement le redouter chez un peuple démocratique, parce qu’il se combine merveilleusement avec le vice de cœur le plus familier à ces peuples.

La démocratie favorise le goût des jouissances matérielles. Ce goût, s’il devient excessif, dispose bientôt les hommes à croire que tout n’est que matière ; et le matérialisme, à son tour, achève de les entraîner avec une ardeur insensée vers ces mêmes jouissances. Tel est le cercle fatal dans lequel les nations démocratiques sont poussées. Il est bon qu’elles voient le péril, et se retiennent.

La plupart des religions ne sont que des moyens généraux, simples et pratiques, d’enseigner aux hommes l’immortalité de l’âme. C’est là le plus grand avantage qu’un peuple démocratique retire des croyances, et ce qui les rend plus nécessaires à un tel peuple qu’à tous les autres.

Lors donc qu’une religion quelconque a jeté de profondes racines au sein d’une démocratie, gardez-vous de l’ébranler ; mais conservez-la plutôt avec soin comme le plus précieux héritage des siècles aristocratiques ; ne cherchez pas à arracher aux hommes leurs anciennes opinions religieuses, pour en substituer de nouvelles, de peur que, dans le passage d’une foi à une autre, l’âme