Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 3.djvu/248

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l’homme dans l’autre vie ; mais la seule croyance sur laquelle ils étaient fixés, que l’âme n’a rien de commun avec le corps et qu’elle lui survit, a suffi pour donner à la philosophie platonicienne cette sorte d’élan sublime qui la distingue.

Quand on lit Platon, on aperçoit que dans les temps antérieurs à lui, et de son temps, il existait beaucoup d’écrivains qui préconisaient le matérialisme. Ces écrivains ne sont pas parvenus jusqu’à nous, ou n’y sont parvenus que fort incomplètement. Il en a été ainsi dans presque tous les siècles : la plupart des grandes réputations littéraires se sont jointes au spiritualisme. L’instinct et le goût du genre humain soutiennent cette doctrine ; ils la sauvent souvent en dépit des hommes eux-mêmes, et font surnager les noms de ceux qui s’y attachent. Il ne faut donc pas croire que dans aucun temps, et quel que soit l’état politique, la passion des jouissances matérielles et les opinions qui s’y rattachent pourront suffire à tout un peuple. Le cœur de l’homme est plus vaste qu’on ne le suppose ; il peut renfermer à la fois le goût des biens de la terre et l’amour de ceux du ciel ; quelquefois il semble se livrer éperduement à l’un des deux ; mais il n’est jamais longtemps sans songer à l’autre.

S’il est facile de voir que c’est particulièrement dans les temps de démocratie qu’il importe de faire régner les opinions spiritualistes ; il n’est pas aisé de dire comment ceux qui gouvernent les peuples démocratiques doivent faire pour qu’elles y règnent.