Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 3.djvu/256

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cée de fixer longtemps ses regards sur le but avant de l’atteindre.

Il faut que les gouvernements s’appliquent à redonner aux hommes ce goût de l’avenir, qui n’est plus inspiré par la religion et l’état social, et que, sans le dire, ils enseignent chaque jour pratiquement aux citoyens que la richesse, la renommée, le pouvoir, sont les prix du travail ; que les grands succès se trouvent placés au bout des longs désirs, et qu’on n’obtient rien de durable que ce qui s’acquiert avec peine.

Quand les hommes se sont accoutumés à prévoir de très-loin ce qui doit leur arriver ici bas, et à s’y nourrir d’espérances, il leur devient malaisé d’arrêter toujours leur esprit aux bornes précises de la vie, et ils sont bien prêts d’en franchir les limites, pour jeter leurs regards au-delà.

Je ne doute donc point qu’en habituant les citoyens à songer à l’avenir dans ce monde, on les rapprochât peu à peu, et sans qu’ils le sussent eux-mêmes, des croyances religieuses.

Ainsi, le moyen qui permet aux hommes de se passer, jusqu’à un certain point, de religion, est peut-être, après tout, le seul qui nous reste pour ramener par un long détour le genre humain vers la foi.