Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 3.djvu/276

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d’une haleine et sans sourciller le massacre et les tortures des gens du peuple.

Ce n’est point que ces écrivains éprouvassent une haine habituelle ou un mépris systématique pour le peuple. La guerre entre les diverses classes de l’État n’était point encore déclarée. Ils obéissaient à un instinct plutôt qu’à une passion ; comme ils ne se formaient pas une idée nette des souffrances du pauvre, ils s’intéressaient faiblement à son sort.

Il en était ainsi des hommes du peuple, dès que le lien féodal venait à se briser. Ces mêmes siècles qui ont vu tant de dévouements héroïques de la part des vassaux pour leurs seigneurs, ont été témoins de cruautés inouïes, exercées de temps en temps par les basses classes sur les hautes.

Il ne faut pas croire que cette insensibilité mutuelle tînt seulement au défaut d’ordre et de lumières ; car on en retrouve la trace dans les siècles suivants, qui, tout en devenant réglés et éclairés, sont encore restés aristocratiques.

En l’année 1675 les basses classes de la Bretagne s’émurent à propos d’une nouvelle taxe. Ces mouvements tumultueux furent réprimés avec une atrocité sans exemple. Voici comment madame de Sévigné, témoin de ces horreurs, en rend compte à sa fille :

Aux Rochers, 3 octobre 1675.

« Mon Dieu, ma fille, que votre lettre d’Aix est plaisante. Au moins relisez vos lettres avant que de les en-