Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 3.djvu/302

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tus et les vices de leurs contemporains ; et ils sont honnêtes ou fripons de la même manière que les maîtres.

Les conditions ne sont pas moins égales parmi les serviteurs que parmi les maîtres.

Comme on ne trouve point, dans la classe des serviteurs, de rangs marqués ni de hiérarchie permanente, il ne faut pas s’attendre à y rencontrer la bassesse et la grandeur qui se font voir dans les aristocraties de valets aussi bien que dans toutes les autres.

Je n’ai jamais vu aux États-Unis, rien qui pût me rappeler l’idée du serviteur d’élite, dont en Europe nous avons conservé le souvenir ; mais je n’y ai point trouvé non plus l’idée du laquais. La trace de l’un comme de l’autre y est perdue.

Dans les démocraties les serviteurs ne sont pas seulement égaux entre eux, on peut dire qu’ils sont, en quelque sorte, les égaux de leurs maîtres.

Ceci a besoin d’être expliqué pour le bien comprendre.

À chaque instant le serviteur peut devenir maître, et aspire à le devenir ; le serviteur n’est donc pas un autre homme que le maître.

Pourquoi donc le premier a-t-il le droit de commander, et qu’est-ce qui force le second à obéir ? l’accord momentané et libre de leurs deux volontés. Naturellement ils ne sont point inférieurs l’un à l’autre, ils ne le deviennent momentanément que par l’effet du contrat. Dans les limites de ce contrat, l’un est le serviteur et