Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 3.djvu/317

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fermier voisin, et qu’on refuse de leur accorder un certain salaire, ils se retirent sur leur petit domaine, et attendent qu’une autre occasion se présente.

Je pense qu’en prenant les choses dans leur ensemble, on peut dire que l’élévation lente et progressive des salaires est une des lois générales qui régissent les sociétés démocratiques. À mesure que les conditions deviennent plus égales, les salaires s’élèvent, et à mesure que les salaires sont plus haut, les conditions deviennent plus égales.

Mais, de nos jours, une grande et malheureuse exception se rencontre.

J’ai montré, dans un chapitre précédent, comment l’aristocratie, chassée de la société politique, s’était retirée dans certaines parties du monde industriel, et y avait établi sous une autre forme son empire.

Ceci influe puissamment sur le taux des salaires.

Comme il faut être déjà très-riche pour entreprendre les grandes industries dont je parle, le nombre de ceux qui les entreprennent est fort petit. Étant peu nombreux, ils peuvent aisément se liguer entre eux, et fixer au travail le prix qu’il leur plaît.

Leurs ouvriers sont, au contraire, en très-grand nombre, et la quantité s’en accroît sans cesse ; car il arrive de temps à autre des prospérités extraordinaires durant lesquelles les salaires s’élèvent outre mesure et attirent dans les manufactures les populations environnantes. Or, une fois que les hommes sont entrés dans cette carrière, nous avons vu qu’ils n’en sauraient sortir, parce qu’ils