Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 3.djvu/318

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ne tardent pas à y contracter des habitudes de corps et d’esprit qui les rendent impropres à tout autre labeur. Ces hommes ont en général peu de lumières, d’industrie et de ressources ; ils sont donc presque à la merci de leur maître. Lorsqu’une concurrence, ou d’autres circonstances fortuites, fait décroître les gains de celui-ci, il peut restreindre leurs salaires presque à son gré, et reprendre aisément sur eux ce que la fortune lui enlève.

Refusent-ils le travail d’un commun accord : le maître, qui est un homme riche, peut attendre aisément, sans se ruiner, que la nécessité les lui ramène ; mais eux, il leur faut travailler tous les jours pour ne pas mourir ; car ils n’ont guère d’autre propriété que leurs bras. L’oppression les a dès longtemps appauvris, et ils sont plus faciles à opprimer à mesure qu’ils deviennent plus pauvres. C’est un cercle vicieux dont ils ne sauraient aucunement sortir.

On ne doit donc point s’étonner si les salaires, après s’être élevés quelquefois tout à coup, baissent ici d’une manière permanente, tandis que dans les autres professions le prix du travail, qui ne croît en général que peu à peu, s’augmente sans cesse.

Cet état de dépendance et de misère dans lequel se trouve de notre temps une partie de la population industrielle, est un fait exceptionnel et contraire à tout ce qui l’environne ; mais, pour cette raison même, il n’en est pas de plus grave, ni qui mérite mieux d’attirer l’attention particulière du législateur ; car il est difficile, lorsque la société entière se remue, de tenir une classe