Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 3.djvu/332

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enjouée ; un philosophe aurait bronché cent fois sur l’étroit chemin qu’elles parcouraient sans accidents et sans peine.

Il est facile, en effet, de reconnaître que, au milieu même de l’indépendance de sa première jeunesse, l’Américaine ne cesse jamais entièrement d’être maîtresse d’elle-même ; elle jouit de tous les plaisirs permis sans s’abandonner à aucun d’eux, et sa raison ne lâche point les rênes, quoiqu’elle semble souvent les laisser flotter.

En France, où nous mêlons encore d’une si étrange manière, dans nos opinions et dans nos goûts, des débris de tous les âges, il nous arrive souvent de donner aux femmes une éducation timide, retirée et presque claustrale, comme au temps de l’aristocratie, et nous les abandonnons ensuite tout à coup, sans guide et sans secours, au milieu des désordres inséparables d’une société démocratique.

Les Américains sont mieux d’accord avec eux-mêmes.

Ils ont vu que, au sein d’une démocratie, l’indépendance individuelle ne pouvait manquer d’être très-grande, la jeunesse hâtive, les goûts mal contenus, la coutume changeante, l’opinion publique souvent incertaine ou impuissante, l’autorité paternelle faible et le pouvoir marital contesté.

Dans cet état de choses, ils ont jugé qu’il y avait peu de chances de pouvoir comprimer chez la femme les passions les plus tyranniques du cœur humain, et qu’il était plus sûr de lui enseigner l’art de les com-