Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 3.djvu/357

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le viol ; et il n'est point de crimes que l'opinion publique poursuive avec une ardeur plus inexorable. Cela s'explique : comme les Américains ne conçoivent rien de plus précieux que l'honneur de la femme, et rien de si respectable que son indépendance, ils estiment qu'il n'y a pas de châtiment trop sévère pour ceux qui les lui enlèvent malgré elle.

En France, où le même crime est frappé de peines beaucoup plus douces, il est souvent difficile de trouver un jury qui condamne. Serait-ce mépris de la pudeur, ou mépris de la femme ? Je ne puis m'empêcher de croire que c'est l'un et l'autre.

Ainsi, les Américains ne croient pas que l'homme et la femme aient le devoir ni le droit de faire les mêmes choses ; mais ils montrent une même estime pour le rôle de chacun d'eux, et ils les considèrent comme des êtres dont la valeur est égale, quoique la destinée diffère. Ils ne donnent point au courage de la femme la même forme ni le même emploi qu'à celui de l'homme ; mais ils ne doutent jamais de son courage ; et s'ils estiment que l'homme et sa compagne ne doivent pas toujours employer leur intelligence et leur raison de la même manière, ils jugent, du moins, que la raison de l'une est aussi assurée que celle de l'autre, et son intelligence aussi claire.

Les Américains, qui ont laissé subsister dans la société l'infériorité de la femme, l'ont donc élevée de tout leur pouvoir, dans le monde intellectuel et moral, au niveau de l'homme ; et, en ceci, ils me paraissent avoir admirablement