Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 3.djvu/394

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Les Américains ne font pas un classement moins arbitraire parmi les vices.

Il y a certains penchants condamnables aux yeux de la raison générale, et de la conscience universelle du genre humain, qui se trouvent être d'accord avec les besoins particuliers et momentanés de l'association américaine ; et elle ne les réprouve que faiblement, quelquefois elle les loue ; je citerai particulièrement l'amour des richesses et les penchants secondaires qui s'y rattachent. Pour défricher, féconder, transformer ce vaste continent inhabité, qui est son domaine, il faut à l'Américain l'appui journalier d'une passion énergique ; cette passion ne saurait être que l'amour des richesses ; la passion des richesses n'est donc point flétrie en Amérique, et pourvu qu'elle ne dépasse pas les limites que l'ordre public lui assigne, on l'honore. L'Américain appelle noble et estimable ambition, ce que nos pères du moyen-âge nommaient cupidité servile ; de même qu'il donne le nom de fureur aveugle et barbare à l'ardeur conquérante et à l'humeur guerrière qui les jetaient chaque jour dans de nouveaux combats.

Aux États-Unis, les fortunes se détruisent et se relèvent sans peine. Le pays est sans bornes et plein de ressources inépuisables. Le peuple a tous les besoins et tous les appétits d'un être qui croît, et quelques efforts qu'il fasse, il est toujours environné de plus de biens qu'il n'en peut saisir. Ce qui est à craindre chez un pareil peuple, ce n'est pas la ruine de quelques individus, bientôt réparée, c'est l'inactivité et la mollesse de tous. L'audace dans les