Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 3.djvu/404

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Les rangs se mêlent, les priviléges sont abolis. Les hommes qui composent la nation étant redevenus semblables et égaux, leurs intérêts et leurs besoins se confondent, et l'on voit s'évanouir successivement toutes les notions singulières que chaque caste appelait l'honneur ; l'honneur ne découle plus que des besoins particuliers de la nation elle-même ; il représente son individualité parmi les peuples.

S'il était permis enfin de supposer que toutes les races se confondissent, et que tous les peuples du monde en vinssent à ce point d'avoir les mêmes intérêts, les mêmes besoins, et de ne plus se distinguer les uns des autres par aucun trait caractéristique, on cesserait entièrement d'attribuer une valeur conventionnelle aux actions humaines ; tous les envisageraient sous le même jour ; les besoins généraux de l'humanité, que la conscience révèle à chaque homme, seraient la commune mesure. Alors, on ne rencontrerait plus dans ce monde que les simples et générales notions du bien et du mal, auxquelles s'attacheraient, par un lien naturel et nécessaire, les idées de louange ou de blâme.

Ainsi, pour renfermer enfin dans une seule formule toute ma pensée, ce sont les dissemblances et les inégalités des hommes qui ont créé l'honneur ; il s'affaiblit à mesure que ces différences s'effacent, et il disparaîtrait avec elles.