Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 3.djvu/414

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de vouloir y endormir les citoyens dans un bonheur trop uni et trop paisible, et qu'il est bon qu'il leur donne quelquefois de difficiles et de périlleuses affaires, afin d'y élever l'ambition, et de lui ouvrir un théâtre.

Les moralistes se plaignent sans cesse que le vice favori de notre époque, est l'orgueil.

Cela est vrai dans un certain sens ; il n'y a personne, en effet, qui ne croie valoir mieux que son voisin, et qui consente à obéir à son supérieur ; mais cela est très-faux dans un autre : car ce même homme, qui ne peut supporter ni la subordination ni l'égalité, se méprise néanmoins lui-même à ce point qu'il ne se croit fait que pour goûter des plaisirs vulgaires. Il s'arrête volontiers dans de médiocres désirs, sans oser aborder les hautes entreprises : il les imagine à peine.

Loin donc de croire qu'il faille recommander à nos contemporains l'humilité, je voudrais qu'on s'efforçât de leur donner une idée plus vaste d'eux-mêmes et de leur espèce ; l'humilité ne leur est point saine ; ce qui leur manque le plus, à mon avis, c'est de l'orgueil. Je céderais volontiers plusieurs de nos petites vertus pour ce vice.