Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 3.djvu/437

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croyances.

Lorsqu'une opinion a pris pied chez un peuple démocratique et s'est établie dans l'esprit du plus grand nombre, elle subsiste ensuite d'elle-même et se perpétue sans efforts, parce que personne ne l'attaque. Ceux qui l'avaient d'abord repoussée comme fausse, finissent par la recevoir comme générale, et ceux qui continuent à la combattre au fond de leur cœur, n'en font rien voir ; ils ont bien soin de ne point s'engager dans une lutte dangereuse et inutile.

Il est vrai que quand la majorité d'un peuple démocratique change d'opinion, elle peut opérer à son gré d'étranges et subites révolutions dans le monde des intelligences ; mais il est très-difficile que son opinion change, et presque aussi difficile de constater qu'elle est changée.

Il arrive quelquefois que le temps, les événements, ou l'effort individuel et solitaire des intelligences, finissent par ébranler ou par détruire peu à peu une croyance, sans qu'il en paraisse rien au dehors. On ne la combat point ouvertement. On ne se réunit point pour lui faire la guerre. Ses sectateurs la quittent un à un et sans bruit ; mais chaque jour quelques uns l'abandonnent, jusqu'à ce qu'enfin elle n'est plus partagée que par le petit nombre.

En cet état elle règne encore.

Comme ses ennemis continuent à se taire, ou ne se communiquent qu'à la dérobée leurs pensées, ils sont eux-mêmes longtemps sans pouvoir s'assurer qu'une grande révolution s'est accomplie, et dans le doute ils demeurent