Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 3.djvu/456

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sorti des classes secondaires de la nation, est parvenu à travers les rangs inférieurs de l’armée jusqu’au grade d’officier, a déjà fait un pas immense. Il a pris pied dans une sphère supérieure à celle qu’il occupait au sein de la société civile, et il y a acquis des droits que la plupart des nations démocratiques considéreront toujours comme inaliénables[1]. Il s’arrête volontiers après ce grand effort, et songe à jouir de sa conquête. La crainte de compromettre ce qu’il possède amollit déjà dans son cœur l’envie d’acquérir ce qu’il n’a pas. Après avoir franchi le premier et le plus grand obstacle qui arrêtait ses progrès, il se résigne avec moins d’impatience à la lenteur de sa marche. Cet attiédissement de l’ambition s’accroît à mesure que, s’élevant davantage en grade, il trouve plus à perdre dans les hasards. Si je ne me trompe, la partie la moins guerrière comme la moins révolutionnaire d’une armée démocratique sera toujours la tête.

Ce que je viens de dire de l’officier et du soldat n’est point applicable à une classe nombreuse qui, dans toutes les armées, occupe entre eux la place intermédiaire ; je veux parler des sous-officiers.

Cette classe des sous-officiers qui, avant le siècle présent, n’avait point encore paru dans l’histoire, est appelée désormais, je pense, à y jouer un rôle.

  1. La position de l’officier est, en effet, bien plus assurée chez les peuples démocratiques que chez les autres. Moins l’officier est par lui-même, plus le grade a comparativement de prix, et plus le législateur trouve juste et nécessaire d’en assurer la jouissance.