Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 3.djvu/465

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les ambitions des chances. La mort ouvre sans cesse les rangs, vide les places, ferme la carrière et l'ouvre.

Il y a d'ailleurs entre les mœurs militaires et les mœurs démocratiques un rapport caché que la guerre découvre.

Les hommes des démocraties ont naturellement le désir passionné d'acquérir vite les biens qu'ils convoitent, et d'en jouir aisément. La plupart d'entre eux adorent le hasard, et craignent bien moins la mort que la peine. C'est dans cet esprit qu'ils mènent le commerce et l'industrie ; et ce même esprit, transporté par eux sur les champs de bataille, les porte à exposer volontiers leur vie pour s'assurer, en un moment, les prix de la victoire. Il n'y a pas de grandeurs qui satisfassent plus l'imagination d'un peuple démocratique que la grandeur militaire, grandeur brillante et soudaine qu'on obtient sans travail, en ne risquant que sa vie.

Ainsi, tandis que l'intérêt et les goûts écartent de la guerre les citoyens d'une démocratie, les habitudes de leur âme les préparent à la bien faire ; ils deviennent aisément de bons soldats, dès qu'on a pu les arracher à leurs affaires et à leur bien-être.

Si la paix est particulièrement nuisible aux armées démocratiques, la guerre leur assure donc des avantages que les autres armées n'ont jamais ; et ces avantages, bien que peu sensibles d'abord, ne peuvent manquer, à la longue, de leur donner la victoire.