Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/31

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chaque Français se trouva plus éclairé, plus indépendant, plus difficile à gouverner par la contrainte ; mais d’une autre part, il n’existait plus entre eux de liens naturels et nécessaires. Chacun concevait un sentiment plus vif et plus fier de sa liberté ; mais il lui était plus difficile de s’unir à d’autres pour la défendre ; il ne dépendait de personne, mais il ne pouvait plus compter sur personne. Le même mouvement social qui avait brisé ses entraves avait isolé ses intérêts, et on pouvait le prendre à part pour le contraindre ou le corrompre séparément.

Les patrimoines ayant été partagés, l’aisance s’étant répandue, tout le monde put s’occuper de la politique et s’intéresser à ses débats, ce qui rendait la fondation du pouvoir absolu plus difficile ; mais, d’un autre côté, nul ne pouvait plus se donner tout entier à la chose publique. Les fortunes étaient petites et mobiles ; le soin de les accroître ou de les assurer devait désormais attirer le premier et souvent le plus grand effort des âmes ; et bien que tous les citoyens eussent le goût et, jusqu’à un certain point, le temps de s’occuper du gouvernement, personne ne pouvait considérer le gouvernement comme sa seule affaire. Un pouvoir unique, savant, habile et fort, devait se flatter qu’à la longue il surprendrait les volontés d’une multitude ainsi inexpérimentée ou inattenlive, et qu’il la détournerait graduellement des passions publiques, pour l’absorber dans les soins attrayants des affaires privées.

Plusieurs opinions nouvelles, sortant de la même