Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/339

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s’est point exagéré cet avantage. Suggérer à un condamné adulte des idées radicalement différentes de celles qu’il avait conçues jusqu’alors, lui inculquer des sentiments tout nouveaux, changer profondément la nature de ses habitudes, détruire ses instincts, faire en un mot d’un grand criminel un homme vertueux, c’est là assurément une entreprise si ardue et si difficile, qu’on ne saurait y réussir que rarement, et qu’il ne serait peut-être pas sage à la société d’en faire l’unique objet de ses efforts. Le système de l’emprisonnement individuel est plus propre qu’aucun autre à favoriser ce genre de réforme ; mais il ne le garantit pas. Sur ce point il ne présente qu’un résultat probable ; mais il offre sur d’autres des certitudes absolues qui ont particulièrement fixé l’attention de votre Commission.

S’il n’est pas sûr que le système de l’emprisonnement individuel, pas plus que tout autre système, rende les détenus meilleurs qu’ils n’étaient, il est sûr du moins qu’il les empêche de devenir pires ; et c’est là un résultat immense, le seul résultat peut-être qu’il soit prudent à un gouvernement de se proposer. Non-seulement nos prisons actuelles ne corrigent pas, mais elles dépravent : cela est hors de doute. Elles rendent à la société des citoyens beaucoup plus dangereux que ceux qu’elles ont reçus. Il en sera ainsi partout où les condamnés pourront communiquer ensemble ; et le seul système qui garantisse d’une manière absolue et surtout permanente qu’ils ne communiquent pas, c’est le système de l’emprisonnement individuel.

Voilà une première certitude. En voici une seconde : De tous les systèmes d’emprisonnement, celui-ci est le plus propre à frapper vivement l’imagination des citoyens, et à laisser des traces profondes dans l’esprit des détenus. En d’autres termes, il n’y en a point qui, par la crainte qu’il inspire, soit plus propre à arrêter les premiers crimes et à prévenir les récidives. L’emprisonnement individuel n’empêche pas seulement les détenus de se parler, mais de se voir. Ils ne se connaissent pas les uns les autres. Ils ignorent qu’ils habitent sous le même toit. Cela a de grandes conséquences.

Il faut bien reconnaître qu’il existe en ce moment parmi nous une société organisée de criminels. Tous les membres de cette société s’entendent entre eux ; ils s’appuient les uns sur les autres ; ils