Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/469

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dans sa main, il soumet à son examen préalable et à son contrôle particulier les affaires que ceux-ci traitent. Ces trois directeurs se tiennent vis-à-vis les uns des autres dans une indépendance d’autant plus pointilleuse et inquiète, que, placés plus haut dans la hiérarchie, ils ont une idée plus grande de leur dignité et de leur pouvoir. Cependant leur concours serait tous les jours nécessaire pour la bonne et prompte expédition des affaires.[1]

Au-dessus de ces trois grandes administrations où viennent se centraliser d’abord toutes les affaires, on en a placé une quatrième, destinée à leur servir de lien ; c’est la direction générale des affaires civiles. Le directeur général des affaires civiles a pour mission de diriger vers un but commun les mouvements des trois directeurs particuliers ; mais il est impuissant à y parvenir. Il y a deux raisons pour cela : la première, c’est qu’on ne l’a revêtu d’aucun pouvoir propre ; au gouverneur seul a été conservée l’initiative de toutes choses ; par lui-même, le directeur général n’a aucun parti à prendre, aucune impulsion à donner ; il écoute, il examine, il reçoit, il transmet, il n’ordonne point, il ne peut même communiquer que par intermédiaires avec les agents d’exécution. Eût-il une puissance propre, il aurait encore grand’peine à l’exercer vis-à-vis de trois fonctionnaires placés presque aussi haut que lui dans la hiérarchie, et munis comme lui d’un pouvoir centralisé ; aussi jusqu’à présent tous les rapports entre eux et lui n’ont-ils guère amené que des conflits.

Au-dessus de toutes ces centralisations superposées, apparaît en-

  1. Encore si le champ d’action de ces trois grands pouvoirs avait été tracé d’une main sûre, chacun d’eux pourrait du moins agir efficacement sur le terrain qu’on lui laisse. Mais leurs diverses attributions ont été déterminées si confusément, que souvent deux directeurs, s’occupant à la fois de la même chose, se gênent, se doublent ou s’annulent. S’agit-il de colonisation, par exemple, c’est le directeur de l'intérieur qui est chargé d’établir les colons dans les villages ; c’est celui des finances qui préside à la fondation des fermes isolées. Comme si ces deux opérations, bien que distinctes, ne faisaient point partie d’une même œuvre, et ne devaient pas être conduites par une même pensée ! Faut-il cadastrer la Mitidja ? Chacun a le droit de s’en occuper à part, de telle sorte que beaucoup de terrains sont cadastrés deux fois, tandis qu’aujourd’hui encore un grand nombre ne l’est pas du tout.