Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/471

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Là, du moins, si les chefs de service, isolés les uns des autres dans leur sphère spéciale, ne sont pas forcés d’agir en commun, au moins il ne dépend que d’eux de s’entendre. Lorsque le directeur de l’intérieur et celui des finances ont une œuvre commune à exécuter, ils peuvent se communiquer directement et immédiatement l’un à l’autre leurs observations réciproques, et trancher sans perte de temps les questions difficiles. Leurs subordonnés dans les provinces ne sauraient le faire. Supposons que le sous-directeur de l’intérieur et le directeur des domaines de Bone veuillent établir un village : survient un conflit ; ils n’ont presque aucune chance de jamais se mettre d’accord. Car, d’une part, il n’y a personne sur les lieux qui puisse les forcer à adopter le même avis, et, le voulussent-ils eux-mêmes, ils n’ont pas le droit de le faire. Il faut qu’ils écrivent respectivement à Alger ; que là les chefs de service, avertis séparément de la difficulté qui s’élève, se voient, qu’ils s’entendent sur une affaire qu’ils n’ont pas sous les yeux, et qu’ensuite chacun d’eux transmette à son subordonné l’instruction qu’ils auront concertée ensemble.

A Alger, du moins, le pouvoir du gouverneur général domine tout, et, à un moment donné, il peut faire marcher d’accord tous les chefs de service. Ce remède, bien qu’intermittent, peut guérir en partie le mal. On ne saurait l’employer dans les provinces.

Par une combinaison fort extraordinaire, les fonctionnaires qui représentent dans les provinces le pouvoir politique et militaire du gouverneur n’ont aucune part à sa puissance civile et administrative[1].

  1. On ne saurait trouver un exemple qui fasse mieux voir de quelle façon arbitraire et incohérente on a tantôt admis, tantôt repoussé en Afrique les règles de notre administration de France ; les rejetant sans utilité, ou s’exposant à de grands hasards pour y rester fidèle. En France, les lieutenants généraux commandant les divisions militaires n’ont à s’occuper que des troupes. Ils ne sauraient exercer aucune inspection ni aucun contrôle sur l’administration civile. On a imité cela en Afrique ; mais là, l'imitation est très-malheureuse, car la position du lieutenant général commandant une province algérienne, ne ressemble en rien à celle du lieutenant général commandant une division militaire en France. Non-seulement il dirige les troupes, mais encore les populations européennes qui habitent les territoires militaires. Il ne commande