Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/490

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ses yeux quelques parties de sa correspondance avec M. le gouverneur général.

Maintenant, s’agit-il bien aujourd’hui de la même expédition de la Kabylie dont il a été question jusqu’ici, ou d’une entreprise ayant un autre caractère ? On a parlé d’une promenade militaire, d’une exploration pacifique. Messieurs, traitons sérieusement les choses sérieuses. Qu’on dise, ce l’on veut, qu’aujourd’hui l’expédition de la Kabylie s’opère dans des circonstances plus favorables que celles qu’elle eût précédemment rencontrées ; cela se peut. Mais qu’on ne cherche pas à lui donner une physionomie nouvelle, sous laquelle ceux même qui l’ont conçue et qui l’exécutent ne l’envisagent point.

Le Moniteur algérien du 10 mai constate qu’on s’est étrangement trompé en France, si l’on a cru que toute la Kabylie avait fait sa soumission. Il y a encore trente à quarante lieues de Kabylie sur une largeur de vingt-cinq lieues qui, sauf les trois tribus voisines de Bougie, ne renferment que des populations insoumises.

Le même jour, M. le gouverneur général annonce à celles-ci, dans une proclamation, que l’armée va entrer sur leur territoire pour en chasser les aventuriers qui y prêchent la guerre contre la France. Il leur déclare qu’il n’a point le désir de combattre et de dévaster les propriétés, mais que, s’il est parmi eux des hommes qui veulent la guerre, ils le trouveront prêt à l’accepter. N’équivoquons donc point, messieurs. Soumettre la Kabylie par les armes de même qu’on a déjà soumis le reste du pays, voilà, aujourd’hui comme précédemment, le but qu’on se propose. Dix mille hommes d’excellentes troupes, divisés en deux corps d’armée, marchent en ce moment contre les Kabyles. Quoique ceux-ci soient très-énergiques, et qu’ils soient retranchés dans des montagnes d’un accès difficile, ils plieront devant nos armes, cela est très-certain. Nous connaissons trop bien aujourd’hui les indigènes de l’Algérie et leur manière de combattre, pour pouvoir en douter. Il est possible et même probable que la prépondérance de nos forces rende la résistance peu prolongée, ou peut-être qu’elle la prévienne. Ce n’est pas là que sont les inconvénients et les périls de l’entreprise.

Qu’allons-nous faire en Kabylie ? S’agit-il d’acquérir un pays où