Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol18.djvu/120

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— En tout cas tu me rendras un grand service en disant un mot à Pomorski, comme ça, en causant.

— Il me semble que cela dépend plutôt de Bolgarinov ?

— Bolgarinov m’est acquis, dit Stépan Arkadiévitch en rougissant.

Il rougit en prononçant le nom de Bolgarinov, car ce matin même il était allé chez le Juif Bolgarinov et cette visite lui avait laissé une impression désagréable.

Stépan Arkadiévitch savait très bien que l’affaire dans laquelle il voulait entrer était une affaire nouvelle, vivante et honnête, mais ce matin, quand Bolgarinov l’avait reçu après l’avoir fait attendre durant deux heures avec d’autres solliciteurs, il s’était senti très gêné. Était-il gêné parce que lui, prince Oblonskï, descendant de Rurik, avait attendu deux heures dans l’antichambre d’un Juif, ou parce que pour la première fois de sa vie il ne suivait pas l’exemple de ses ancêtres en cherchant à servir en dehors de l’État ? en tout cas, il s’était senti très mal à l’aise.

Pendant ces deux heures d’attente chez Bolgarinov, Stépan Arkadiévitch, se promenant à travers la salle, en lissant ses favoris, était entré en conversation avec des gens qui attendaient également et avait cherché un bon mot à dire, cachant soigneusement des autres et de lui-même les sentiments qu’il éprouvait. Mais tout ce temps il s’était