Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol2.djvu/199

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déjà porté à l’avance, je voulais être le plus possible comme il faut. Même par l’extérieur et par mes manières, je tâchais de ressembler aux héros qui avaient quelques-unes de ces qualités. Je me rappelle que dans l’un des romans, que je lus cet été par centaines, il y avait un héros extrêmement passionné, qui avait les sourcils très épais, et je désirais tant lui ressembler extérieurement (moralement je me sentais tout à fait comme lui) qu’en regardant mes sourcils devant le miroir, j’eus l’idée de les couper un peu pour qu’ils épaississent. Mais il advint que je coupai plus dans un endroit que dans l’autre et qu’il fallut égaliser, et l’opération finit ainsi, qu’avec horreur je me vis dans le miroir sans sourcils, et, grâce à cela très laid. Espérant toutefois que bientôt j’aurais des sourcils épais comme ceux d’un homme passionné, je me consolai et ne m’inquiétai plus que de l’explication à donner aux miens quand ils me verraient sans sourcils. Je pris de la poudre chez Volodia, je m’en frottai les sourcils et l’allumai. La poudre n’éclata pas, mais quand même je ressemblais assez à quelqu’un qui s’est brûlé pour qu’on ne découvrît pas ma ruse. Et en effet, alors que j’avais déjà oublié le héros passionné, mes sourcils avaient repoussé beaucoup plus épais.