Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol2.djvu/245

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pelisses, m’effraya tellement, en me proposant de faire connaissance avec cette amazone, qu’en toute hâte je me sauvai du manège, et à la pensée seule qu’il lui eût parlé de moi, je n’osai plus revenir, même où étaient les valets, dans la peur de la rencontrer.

Quand j’étais amoureux d’une femme que je ne connaissais pas, et surtout d’une femme mariée, j’éprouvais une timidité mille fois plus grande que celle que je ressentais avec Sonitchka. Ce que je craignais le plus au monde, c’était que l’objet de mon amour ne connût cet amour et même ne soupçonnât mon existence ; il me semblait que si elle apprenait le sentiment que je nourrissais pour elle, ce serait une offense qu’elle ne pourrait jamais me pardonner. Et en effet, si cette amazone savait, en détail, comment je la regardais derrière les valets, et comment j’imaginais de l’enlever, de l’amener à la campagne, d’y vivre avec elle, et ce que je ferais d’elle, peut-être serait-elle très blessée. Mais je ne pouvais comprendre clairement que, me connaissant, elle ne pût saisir d’un coup toutes mes pensées, et qu’ainsi il n’y eût eu nulle honte à faire sa connaissance.

Une seconde fois je fus épris de Sonitchka que je vis chez ma sœur. Mon deuxième amour pour elle était passé depuis longtemps, mais je fus épris une troisième fois parce que Lubotchka me donna un cahier de poésies copiées par Sonitchka, parmi