Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol11.djvu/37

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attendait avec calme son sort, sûr d’être capable de décider, dans les moments les plus difficiles, ce qu’il devait faire. Et aussitôt que l’ennemi s’approchait, les habitants les plus riches s’en allaient en abandonnant leurs biens, les plus pauvres demeuraient, incendiaient et détruisaient ce qui restait. Chaque Russe avait conscience que ce serait ainsi toujours et partout, et cette conscience, jointe au pressentiment que Moscou serait prise, était répandue dans la société moscovite de 1812. Ceux qui commencèrent à partir en juillet et dans les premiers jours d’août montraient qu’ils attendaient cela. Ceux qui partaient en emportant ce qu’ils pouvaient, en abandonnant leurs maisons et la moitié de leurs biens, agissaient ainsi par ce patriotisme latent qui s’exprimait non par des phrases, non par le meurtre des enfants pour le salut de la patrie ou autres actes antinaturels, mais qui s’exprimait simplement, insensiblement, naturellement, et donnait par cela même les meilleurs résultats. « C’est honteux de fuir le danger. Seuls les poltrons quittent Moscou, » leur disait-on. Dans ses affiches, Rostoptchine leur faisait entendre qu’il était honteux de quitter Moscou ; ils avaient honte d’être appelés poltrons ; ils avaient honte de partir, mais ils partaient quand même, sachant qu’il le fallait. Pourquoi partaient-ils ? On ne peut supposer que Rostoptchine les effrayait par les horreurs que commettait Napoléon sur les terres