Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol13.djvu/382

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ne se réalisait pas. De leur langue, écrite par eux-mêmes sur le tableau, je pus les faire passer à celle des contes ; mais pour parvenir de cette dernière au degré supérieur, aucun écrit n’existait dans la littérature.

Nous avons essayé de Robinson, ça n’allait pas. Quelques élèves pleuraient de dépit de ne pouvoir comprendre et raconter. Je me mis à leur raconter l’histoire de Robinson, dans un style de mon crû ; alors ils commencèrent à admettre la possibilité de pouvoir la comprendre, et peu à peu, en effet, ils arrivèrent à en démêler le sens. Au bout d’un mois, ils avaient lu Robinson, mais avec ennui, et à la fin, presque avec dégoût. Ce travail était trop long pour eux. La mémoire jouait le plus grand rôle quand ils racontaient, aussitôt la lecture finie, ce qu’ils avaient lu dans la soirée ; ils se rappelaient certains passages, mais nul d’entre eux n’avait tout saisi. Ils ne retenaient malheureusement que quelques mots incompréhensibles pour eux et les employaient mal à propos, comme le font les gens qui savent à peine lire. Je voyais que quelque chose n’allait pas, mais je ne savais comment y remédier. Pour mon propre contrôle, et pour rassurer ma conscience, je me mis à leur faire lire diverses productions soi-disant populaires, par exemple, L’Oncle Naoum, Tante Natalie, bien que je susse d’avance que cela ne leur plairait pas. Ce que je supposais arriva. Ces livres assommaient