Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol15.djvu/397

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Oui, c’était toujours la même chose. Tous, mère frère, trouvaient nécessaire de se mêler de ses affaires intimes. Cette intervention excitait en lui la colère, sentiment qu’il éprouvait rarement.

« Qu’est-ce que cela peut leur faire ? Pourquoi chacun croit-il de son devoir de se soucier de moi ? Et pourquoi s’en prennent-ils à moi ? Parce qu’ils voient qu’il s’agit de quelque chose qu’ils ne peuvent pas comprendre. S’il s’agissait d’une liaison mondaine banale, ils me laisseraient tranquille. Ils sentent que c’est autre chose, que ce n’est pas un caprice, que cette femme m’est plus chère que la vie, et ils ne peuvent comprendre cela, c’est pourquoi ils en ressentent du dépit. C’est nous qui l’avons fait et nous ne nous plaignons pas », dit-il, entendant par nous lui et Anna.

« Non, ils veulent nous apprendre à vivre et ils n’ont pas même l’idée de ce que c’est que le bonheur ; ils ne savent pas qu’en dehors de cet amour il n’y a pour nous ni bonheur ni malheur, que la vie n’existe pas ! »

Il leur en voulait à tous de leur intervention, précisément parce qu’il sentait en son âme qu’ils avaient tous raison. Il sentait que l’amour qui l’unissait à Anna n’était pas un entraînement momentané qui passe, comme passe une liaison mondaine, sans laisser d’autres traces dans la vie de l’un et de l’autre, qu’un souvenir agréable ou ennuyeux ; il sentait toutes les tortures de leur situation, toutes les