Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol15.djvu/463

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sens de la vie en dehors des odieuses relations mondaines d’une jeune fille envers les hommes, car maintenant, elle trouvait honteux de s’exposer comme une marchandise qui attend son acheteur. Plus Kitty observait son amie inconnue plus elle se convainquait que cette femme était précisément cette créature parfaite qu’elle s’imaginait, et plus elle désirait la connaître.

Les deux jeunes filles se rencontraient plusieurs fois par jour, et à chaque fois les yeux de Kitty disaient : « Qui êtes-vous ? Qui êtes-vous ? N’est-ce pas que vous êtes bien cette créature charmante que je me représente ? Mais au nom de Dieu, ne pensez pas, ajoutait son regard, que je me permette de m’imposer à vous ; tout simplement je vous admire et vous aime. » « Moi aussi, je vous aime et vous êtes charmante et je vous aimerais encore davantage si j’avais le temps », répondait le regard de l’inconnue. Et en effet, Kitty la voyait toujours occupée : tantôt elle promenait les enfants d’une famille russe, tantôt elle portait un plaid à un malade et l’en enveloppait, tantôt elle achetait des biscuits pour le café de quelqu’un.

Peu après l’arrivée des Scherbatzkï aux eaux parut un couple qui devint l’objet d’une attention peu bienveillante. C’était un homme de très haute taille, voûté, aux mains énormes, vêtu d’un pardessus court, élimé, et pas à sa taille ; ses yeux étaient noirs, naïfs, et en même temps terribles ;