Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol15.djvu/490

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chestre qui jouait une valse gaie, à la mode, et surtout la vue des servantes bien portantes, semblaient quelque chose de monstrueux et d’inconvenant auprès de ces mourants qui se rassemblaient là de tous les coins de l’Europe et marchaient tristement.

Malgré le sentiment de fierté qu’il éprouvait, comme un retour de la jeunesse, quand il avait à son bras sa fille préférée, il se sentait maintenant un peu gêné, honteux de sa santé, de ses membres gros et forts ; il éprouvait presque le sentiment d’un homme qui se trouve déshabillé en société.

— Présente-moi, présente-moi à tes nouveaux amis, dit-il à sa fille en lui serrant le bras de son coude. Je suis tout de même content de ton vilain Soden parce qu’il t’a si bien remise. Seulement c’est bien triste chez vous. Qui est-ce ?

Kitty lui nommait les personnes qu’ils croisaient. À l’entrée même du jardin, ils rencontrèrent l’aveugle, madame Berthe, avec sa conductrice, et le prince se rasséréna en voyant l’expression attentive de la vieille Française aux sons de la voix de Kitty. Aussitôt, avec l’amabilité exagérée des Français, elle se mit à lui parler, le félicitant d’avoir une si charmante fille et appelant Kitty son trésor, sa perle, son ange consolateur.

— En ce cas, elle est l’ange numéro 2, dit le prince en souriant. Et l’ange numéro 1 est mademoiselle Varenka.