Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol16.djvu/281

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

formée et physiquement elle avait beaucoup perdu. Elle avait grossi, et au moment où elle avait fait allusion à cette actrice, une expression méchante avait subitement enlaidi son visage. Il la regarda comme un homme regarde la fleur qu’il a arrachée. Dans cette fleur flétrie, il a peine à reconnaître la beauté pour laquelle il l’a cueillie et fait périr. Mais, alors qu’au moment où son amour pour Anna était le plus fort, il se sentait capable de l’arracher violemment de son cœur, maintenant qu’il lui semblait ne plus l’aimer, il avait conscience que le lien qui les unissait ne pouvait être brisé !

— Eh bien ! voyons, que voulais-tu me dire du prince ? C’est fini, j’ai chassé le démon ! (C’est ainsi qu’ils appelaient sa jalousie.) Eh bien, voyons, qu’avais-tu commencé à dire du prince ? Pourquoi sa société t’était-elle si désagréable ?

— Oui, elle m’était insupportable ! dit-il en tâchant de retrouver le fil de sa pensée. Il ne gagne pas à être vu de près. S’il fallait le caractériser, on pourrait le comparer à l’un de ces animaux bien nourris qui reçoivent le premier prix aux concours agricoles, ni plus ni moins.

Il prononça ces paroles avec un tel dépit qu’Anna en parut intriguée.

— Vraiment ? objecta-t-elle, cependant c’est un homme qui a vu beaucoup de choses, qui est instruit…

— C’est là un genre d’instruction tout particulier.