Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol16.djvu/39

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manier la faux et il allait se décider à demander à Tite de faire halte, lorsque celui-ci s’arrêta de lui-même, s’inclina pour arracher une poignée d’herbe et en essuyer sa faux qu’il se mit à aiguiser.

Lévine se redressa et avec un soupir de soulagement regarda autour de lui. Près de lui marchait un paysan, il était probablement aussi très fatigué, car avant même de le rejoindre il s’arrêta et se mit à affiler sa faux. Tite affûta la sienne et celle de Lévine et ils continuèrent plus loin.

À la seconde reprise ce fut la même chose. Tite marchait sans s’arrêter, sans se fatiguer. Lévine le suivait, s’efforçant de ne pas être en retard, mais il se sentait de plus en plus las, cependant au moment où ses forces, lui semblait-il, allaient l’abandonner, Tite s’arrêtait et se mettait à aiguiser.

Ils firent ainsi la première ligne. Ce long rang paraissait bien dur à Lévine ; mais en revanche, quand ils furent arrivés au bout et que Tite, mettant sa faux sur son épaule, d’un pas lent, retourna sur les traces laissées par ses talons dans l’endroit fauché, Lévine qui faisait de même, malgré la sueur qui ruisselait à grosses gouttes sur son visage et tombait de son nez, malgré son dos mouillé comme s’il se fût plongé dans l’eau, se sentait en excellente disposition. Il était surtout heureux parce qu’il était sûr maintenant de pouvoir endurer le travail, et son plaisir n’était gâté que par la défectuosité de sa ligne. « Je remuerai moins les bras et davantage