Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol16.djvu/420

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qu’elle se reprochait sans réussir à le vaincre. Son seul désir pour l’instant était d’être délivrée de sa présence.

— Je viens d’envoyer chercher le docteur, reprit Alexis Alexandrovitch.

— Je me sens bien, pourquoi faire, le docteur ?

— C’est pour la petite qui crie sans cesse, on dit que la nourrice n’a pas assez de lait.

— Pourquoi donc ne m’as-tu pas permis de la nourrir moi-même, quand je t’en ai supplié ? malgré tout (Alexis Alexandrovitch comprit ce que voulait dire ce malgré tout), c’est une enfant et on la fera mourir. — Elle sonna et se fit apporter le bébé. — J’ai voulu mourir, on ne me l’a pas permis, et maintenant c’est à moi qu’on fait des reproches.

— Je ne vous reproche rien…

— Si : vous me faites des reproches… Mon Dieu ! Pourquoi ne suis-je pas morte ! et elle se mit à sangloter. — Pardonne-moi, je suis irritée, je suis injuste, dit-elle, tâchant de se dominer. Mais, va-t’en…

« Non cela ne peut durer ainsi », se dit résolument Alexis Alexandrovitch en sortant de chez sa femme.

Jamais encore il n’avait vu avec autant d’évidence l’impossibilité de prolonger sa situation aux yeux du monde, la haine de sa femme pour lui, et, en général, la puissance de cette force brutale et mystérieuse, qui, à l’encontre de ses sentiments,