Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol17.djvu/103

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Tandis qu’il revenait à la maison, il ne pensait qu’à sa femme, à son amour, à son bonheur, et plus il s’approchait, plus vive devenait sa tendresse pour elle. Il accourait au salon dans un état d’esprit analogue à celui qu’il avait éprouvé le jour qu’il était venu chez les Stcherbatzkï pour faire sa demande, mais un visage sombre, qu’il ne connaissait pas, l’accueillit.

Il voulut embrasser Kitty ; elle le repoussa.

— Qu’as-tu ?

— Tu t’amuses, toi… commença-t-elle voulant se montrer froidement amère.

Mais à peine eut-elle ouvert la bouche que l’absurde jalousie qui l’avait tourmentée pendant cette demi-heure qu’elle l’avait attendu, immobile près de la fenêtre, éclata en paroles de reproche.

Il comprit alors clairement, pour la première fois, ce qu’il n’avait pas compris en la menant à l’autel, que non seulement elle était liée à lui, mais qu’il ne savait plus où commençait et où finissait sa propre personnalité. Il le comprit par le pénible sentiment de scission intérieure qu’il éprouva. Tout d’abord il en fut offensé, mais aussitôt il sentit qu’elle ne pouvait pas l’offenser car elle et lui ne faisaient qu’un. Il éprouva tout d’abord un sentiment semblable à celui qu’éprouve un homme qui, recevant un coup formidable dans le dos, se retourne plein de colère pour voir qui l’a frappé et s’aperçoit alors qu’il s’est donné ce coup lui-