Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol17.djvu/146

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Les souffrances augmentant graduellement faisaient leur œuvre et le préparaient à mourir. De quelque côté qu’on le tournât, il souffrait, le mal ne lui laissait plus un moment de répit, tous ses membres étaient douloureux. Les souvenirs même, les impressions, les pensées de ce corps lui inspiraient autant de dégoût que le corps même. La vue des autres hommes, leurs voix, ses propres souvenirs, tout cela ne provoquait en lui que souffrances. Ceux qui l’entouraient le sentaient et d’instinct s’interdisaient tout mouvement, toute conversation, toute expression de leurs désirs. La vie se concentrait pour tous dans le sentiment des souffrances du mourant et le désir ardent de l’en voir délivré. Il touchait à ce moment suprême où la mort devait lui sembler la réalisation de ses vœux, le bonheur. Jadis, chaque désir particulier provoqué par les souffrances ou par la privation, comme la faim, la fatigue, la soif, était pour lui une source de plaisir, une fois satisfait par les fonctions de son organisme ; maintenant les souffrances, la privation ne pouvaient plus être satisfaites et la tentative même de les satisfaire ne parvenait qu’à provoquer de nouvelles souffrances. Aussi tous ses désirs étaient-ils concentrés en un seul : être délivré de toutes les souffrances et de leur source, le corps. Mais pour exprimer ce désir de la délivrance, les paroles lui manquaient ; c’est pourquoi il n’en disait rien, et, uniquement par