Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol17.djvu/236

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ses dernières forces pour soutenir son rôle jusqu’au bout et garder l’apparence du calme absolu. Et ce rôle lui réussit. Ceux qui ne la connaissaient pas, qui ignoraient son histoire, qui ne pouvaient entendre les expressions de pitié, d’indignation ou d’étonnement de ses anciennes amies sur cette audace à se montrer ainsi, avec cette arrogance, dans tout l’éclat de sa beauté et de sa parure, ceux-là admirant le calme et la beauté de cette femme n’auraient pu soupçonner qu’elle vivait toutes les émotions d’une personne clouée au pilori.

Voyant qu’il était arrivé quelque chose mais ne sachant quoi, Vronskï éprouva une angoisse terrible, et dans l’espoir d’y recueillir quelques détails, il se rendit dans la loge de son frère. Il traversa avec intention l’orchestre du côté opposé à la loge d’Anna et se heurta, en sortant, à son ancien colonel qui causait avec deux personnes. Vronskï entendit prononcer le nom de Karénine et remarqua l’empressement du colonel à l’appeler à haute voix par son nom, en regardant d’un air significatif ses interlocuteurs.

— Ah ! Vronskï ! Quand te verrons-nous au régiment ? Nous ne te ferons pas grâce d’un banquet. Tu es notre doyen, dit le colonel.

— Je le regrette beaucoup, mais je n’en aurai pas le temps. Ce sera pour une autre fois, répondit Vronskï, et il monta rapidement à la loge de son frère.