Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol17.djvu/239

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— Vous êtes arrivé tard, il me semble, et vous avez manqué le meilleur morceau, dit Anna à Vronskï, d’un air qui lui parut ironique.

— Je suis un juge médiocre, dit-il la regardant sévèrement.

— Comme le prince Iachvine, dit-elle en souriant, qui trouve que la Patti chante trop fort.

— Merci, dit-elle prenant de sa petite main emprisonnée dans un long gant le programme que lui tendait Vronskï. Et au même moment son beau visage tressaillit. Elle se leva et se retira dans le fond de la loge.

Vronskï remarquant à l’acte suivant que la loge d’Anna était vide, se leva au milieu de la cavatine, ce qui provoqua des « chut ! », sortit de la salle et rentra à l’hôtel.

Anna était déjà rentrée. Vronskï la trouva dans sa toilette de théâtre. Elle s’était assise sur le premier siège venu, près du mur, et regardait devant elle. Dès qu’il entra, elle jeta sur lui un coup d’œil sans changer d’attitude.

— Anna… dit-il.

— C’est toi, toi qui es cause de tout ! s’écria-t-elle en se levant, des larmes de rage et de désespoir dans la voix.

— Je t’ai priée, suppliée de n’y pas aller ; je prévoyais quelque désagrément…

— Quelque désagrément ! s’écria-t-elle. C’est horrible ! Vivrais-je cent ans que je ne l’oublierai