Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol21.djvu/115

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et de la montagne n’ont pu être des faits réels, puisque autrement, il faudrait admettre que Jésus a cédé jusqu’à un certain point à la tentation, sauf à s’arrêter au moment décisif. Des auteurs modernes ont été plus loin, et niant la réalité objective et extérieure de toute cette histoire, n’ont voulu y voir qu’un fait intérieur et subjectif, une évolution de la pensée de Jésus, une contemplation contradictoire de ses buts et moyens, un drame purement psychique. Mais il serait facile de prouver que cet expédient, dont le moindre tort est d’être contraire au texte, n’écarte pas les difficultés que nous venons de signaler ; tout au contraire, si nous mettons à la place du diable personnel, les propres pensées de Jésus, — qu’elles aient surgi dans un songe, ou dans une vision, ou dans une lutte intérieure, — nous ne faisons qu’affirmer la présence, dans sa nature morale, d’un élément de faiblesse qui est d’autant moins propre à nous rassurer, que l’objet de la tentation a été plus insolite. On pourrait même dire qu’à cet égard la ridicule explication des interprètes rationalistes, qui ont entrevu dans le diable un émissaire du Sanhédrin, ménageait beaucoup mieux l’intégrité du caractère de Jésus.

Un grand nombre de théologiens allemands de notre siècle, désespérant de faire accorder le récit des évangiles avec une saine appréciation de la personne et de la dignité de Jésus, et convaincus qu’aucune des transformations de l’histoire successivement essayées par les commentateurs n’efface complètement ce qui nous y arrête et nous choque, ont proposé l’explication très spécieuse que voici : Ce que les évangélistes nous racontent comme un fait historique aurait été, dans l’origine, une parabole racontée par Jésus à ses disciples à l’effet de leur faire saisir la différence entre une conception fausse et mauvaise de l’œuvre messianique et la conception vraie, qui était la sienne propre. Le diable, le désert, le temple et la montagne appartiendraient au cadre du récit figuré ; l’inévitable contra-